Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/502

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fille de rien. La femme la plus sainte, la plus charmante et la meilleure ! Pourquoi t’acharnes-tu à la ruiner ? »

— « Tu te trompe, je t’assure ! »

— « Allons donc ! Comme si tu n’avais pas mis Sénécal en avant ! »

— « Quelle bêtise ! »

Alors, une fureur l’emporta.

— « Tu mens ! tu mens, misérable ! Tu es jalouse d’elle ! Tu possèdes une condamnation contre son mari ! Sénécal s’est déjà mêlé de tes affaires ! Il déteste Arnoux, vos deux haines s’entendent. J’ai vu sa joie quand tu as gagné ton procès pour le kaolin. Le nieras-tu, celui-là ? »

— « Je te donne ma parole… »

— « Oh ! je la connais, ta parole ! »

Et Frédéric lui rappela ses amants par leurs noms, avec des détails circonstanciés. Rosanette, toute pâlissante, se reculait.

— « Cela t’étonne ! Tu me croyais aveugle parce que je fermais les yeux. J’en ai assez, aujourd’hui ! On ne meurt pas pour les trahisons d’une femme de ton espèce. Quand elles deviennent trop monstrueuses, on s’en écarte ; ce serait se dégrader que de les punir ! »

Elle se tordait les bras.

— « Mon Dieu, qu’est-ce donc qui l’a changé ? »

— « Pas d’autres que toi-même ! »

— « Et tout cela pour Mme Arnoux !… » s’écria Rosanette en pleurant.

Il reprit froidement :

— « Je n’ai jamais aimé qu’elle ! »

À cette insulte, ses larmes s’arrêtèrent.

— « Ça prouve ton bon goût ! Une personne d’un âge mûr, le teint couleur de réglisse, la taille épaisse, des yeux grands comme des soupiraux de cave, et vides comme eux ! Puisque ça te plaît, va la rejoindre »

« C’est ce que j’attendais ! Merci ! »