Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/191

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Eh bien, quand cela serait ? Ne suis-je pas libre ?… »

— « Oh ! très libre ! »

Et, après une minute de silence :

— « C’est si commode, les promesses ! »

— « Mon Dieu ! je ne les nie pas ! » dit Frédéric.

L’avocat continuait :

— « Au collège, on fait des serments, on constituera une phalange, on imitera les Treize de Balzac. Puis, quand on se retrouve : Bonsoir, mon vieux, va te promener ! Car celui qui pourrait servir l’autre retient précieusement tout, pour lui seul. »

— « Comment ? »

— « Oui, tu ne nous as pas même présentés chez les Dambreuse ! »

Frédéric le regarda ; avec sa pauvre redingote, ses lunettes dépolies et sa figure blême, l’avocat lui parut un tel cuistre, qu’il ne put empêcher sur ses lèvres un sourire dédaigneux. Deslauriers l’aperçut, et rougit.

Il avait déjà son chapeau pour s’en aller. Hussonnet, plein d’inquiétude, tâchait de l’adoucir par des regards suppliants, et, comme Frédéric lui tournait le dos :

— « Voyons, mon petit ! Soyez mon Mécène ! Protégez les arts ! »

Frédéric, dans un brusque mouvement de résignation, prit une feuille de papier, et, ayant griffonné dessus quelques lignes, la lui tendit. Le visage du bohème s’illumina. Puis, repassant la lettre à Deslauriers :

« Faites des excuses, Seigneur ! »

Leur ami conjurait son notaire de lui envoyer au plus vite, quinze mille francs.

— « Ah ! je te reconnais là ! » dit Deslauriers.

— « Foi de gentilhomme ! » ajouta le bohème, « vous êtes un brave, on vous mettra dans la galerie des hommes utiles ! »