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ÉGYPTE

soignez-vous bien ! » Quel sentiment différent il n’a pas tardé à avoir à l’encontre de ce même ami ! Est-il possible que si peu de chose change ainsi le cœur d’un homme ?

J’intercale ici quelques pages que j’ai écrites sur le Nil, à bord de notre cange. J’avais l’intention d’écrire ainsi mon voyage par paragraphes, en forme de petits chapitres, au fur et à mesure, quand j’aurais le temps : c’était inexécutable, il a fallu  y renoncer dès que le khamsin s’est passé et que nous avons pu mettre le nez dehors.

J’avais intitulé cela La Cange[1].

À BORD DE LA CANGE.

I

6 février 1850. « À bord de la Cange. »

C’était, je crois, le 12 novembre de l’année 1840. J’avais dix-huit ans. Je revenais de la Corse (mon premier voyage[2]). La narration écrite en était achevée, et je considérais, sans les voir, tout étalées sur ma table, quelques feuilles de papier dont je ne savais plus que faire. Autant qu’il m’en souvient, c’était du papier à lettres, à teinte bleue, et encore tout divisé par cahiers pour pouvoir tenir dans les ficelles de mon portefeuille de voyage.

Ils avaient été achetés à Toulon, par un de ces matins d’appétit littéraire où il semble que l’on a les dents assez longues pour (pouvoir) écrire démesurément sur n’importe quoi. J’ai jeté sur les

  1. Voir Correspondance, I, p. 372 et suivantes.
  2. Voir Par les Champs et par les Grèves, p. 417.