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NOTES DE VOYAGES.

s’approchent des fontaines. Il y a là-bas des savanes de hautes herbes et des éléphants qui galopent sans qu’on puisse les atteindre. À 1 heure du matin, cependant, on se dit adieu et toute la nuit nous rêvons Sennahar.

Il a fallu se lever dès 5 heures pour s’empiler dans le bateau du Rhône, qui n’est parti qu’à 10 à cause du brouillard. Cette navigation, en somme, nous fut désagréable : on avait froid, on s’ennuyait, on était mal, le bord était encombré de barriques d’huile et d’un tas de passagers ; cela vous tachait, buvait de l’absinthe, disait mille sottises, était assommant à périr. À 4 heures du soir encore, nous n’étions qu’à Valence, avec la perspective de passer la nuit sur l’eau et de n’arriver à Marseille que le lendemain fort tard, ou le surlendemain.

Une diligence de hasard se trouvait là. Nous engloutissons un méchant dîner, nous sautons dans la guimbarde, et un quart d’heure après nous roulons sur la route de Marseille.

On sent déjà que l’on a quitté le Nord, les montagnes au coucher du soleil ont des teintes bleuâtres. La route va toute droite entre des bordures d’oliviers. L’air est plus transparent et pénétré d’une lumière claire.

Au milieu de la nuit, nous nous sommes arrêtés dans une ville que j’ai reconnue pour Montélimar, ce qui m’a rappelé des boîtes d’exécrable nougat, que j’y ai achetées jadis, et un déjeuner très froid en compagnie de feu du Sommerard. Il prisait, autant que je m’en souviens, dans une formidable tabatière en buis, avait de gros sourcils, une grosse redingote, l’air bonhomme et très opaque.