Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/109

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mions comme des lézards. L’un près de l’autre, assis par terre, nous prenions du sable dans nos mains, nous le regardions couler à travers nos doigts, nous retournions la carcasse séchée de quelque vieux crabe évidé, nous cherchions des galets creux pour nous faire des encriers, nous ramassions des coquillages, et la journée passait. Le soleil s’abaissait sur la mer qui variait ses couleurs, continuait son bruit et laissait sur la plage son long feston de varechs et d’écume, nous ouvrions nos poitrines, nous humions le parfum des vagues, douce et âcre senteur mêlée d’eau, de brise et d’herbes, qui accourt vers nous du fond de l’océan, et des bouffées d’air chaud venaient d’entre les trous des dunes dont les joncs minces s’accrochaient aux boucles de nos guêtres. Quand le soir était arrivé, nous retournions au gîte en regardant dans le ciel les grandes traînées de pourpre qui s’étendaient sur son azur.

Un matin pourtant nous partîmes comme les autres matins ; nous prîmes le même sentier, nous traversâmes la haie d’ormeaux et la prairie inclinée où nous avions vu, la veille, une petite fille chassant ses bestiaux vers l’abreuvoir ; mais ce fut le dernier jour et la dernière fois peut-être que nous passâmes par là.

Un terrain vaseux où nous enfoncions jusqu’aux chevilles s’étend de Carnac jusqu’au village de Pô. Un canot nous y attendait, nous montâmes dedans, on poussa du fond avec la rame et on hissa la voile.