Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/110

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Notre marin, vieillard à figure gaie, s’assit à l’arrière, y attacha au plat-bord une ligne pour prendre du poisson, et laissa partir sa barque tranquille. À peine s’il faisait du vent ; la mer toute bleue n’avait pas de rides et gardait longtemps sur elle le sillage étroit du gouvernail. Le bonhomme causait ; il nous parlait des prêtres qu’il n’aime pas, de la viande qui est une bonne chose à manger, même les jours maigres, du mal qu’il avait quand il était au service, des coups de fusil qu’il a reçus quand il était douanier..... Nous allions doucement, la ligne tendue suivait toujours et le bout du tape-cul trempait dans l’eau.

La lieue qui nous resta à faire à pied pour aller de Saint-Pierre à Quiberon fut lestement avalée, malgré une route montueuse à travers des sables, malgré le soleil qui faisait crier sur nos épaules la bretelle de nos sacs, et nonobstant quantité de menhirs qui se dressaient dans la campagne.

À Quiberon, nous déjeunâmes chez le sieur Rohan Belle-Isle qui tient l’Hôtel Penthièvre. Ce gentilhomme était nu-pieds dans ses savates, vu la chaleur, et trinquait avec un maçon, ce qui ne l’empêche pas d’être le descendant d’une des premières familles d’Europe. Un noble de vieille race ! un vrai noble, vive Dieu ! qui nous a tout de suite fait cuire des homards et s’est mis à nous battre des biftecks.

Notre orgueil en fut flatté dans sa fibre la plus reculée et encore maintenant je ne puis m’empêcher, en pensant à cet honneur, de remercier