Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/151

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jusque sur le ventre où elle s’arrête en triangle comme un caleçon de Samoyède ; deux bandelettes serrant ses cheveux ondés sont prises sous l’étole et vont s’entre-croiser par derrière à la chute des reins. À voir de profil ses cuisses grasses, sa croupe charnue, ses genoux fléchis et sa grosse tête enfoncée dans les épaules, elle vous semble d’une sensualité à la fois toute barbare et raffinée, la face est plate, le nez camus, les yeux à fleur de tête et la bouche ainsi que les doigts des pieds et des mains indiqués seulement par une simple raie ; sur la poitrine on a voulu figurer des seins. Au bas de son piédestal est une grande cuve de même granit, ayant la forme d’un carré long terminé à l’une de ses extrémités par un demi-cercle ; il peut contenir, dit-on, seize barriques d’eau.

On l’a prise pour une Isis égyptienne à cause de ses bandelettes, ou pour une Vénus romaine à cause des inscriptions du piédestal. Que décider cependant si ces inscriptions, comme on l’assure, n’ont été mises là qu’au xviie siècle par le comte Pierre de Lannion ? Devons-nous en revenir alors à l’hypothèse d’une Isis ? Mais n’est-ce pas voir, comme M. de Penhoet, la rage permanente de l’Égypte, que de reconnaître dans cette œuvre gauche, surabondante et lymphatique, le style élevé, svelte, rythmique des Égyptiens ? et n’y a-t-il pas, d’autre part, une irrévérence trop grossière à supposer les Romains, eux qui aimaient tant les belles femmes, capables jamais d’en avoir fait une si laide ?