Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/153

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Ils devaient y tenir. N’était-ce pas pour eux, au milieu de cette campagne rude et âpre, l’idole féconde et douce, l’idole fortifiante, excitante, guérissante, l’incarnation de la santé et de la chair et comme le symbole même du désir ?

Que ce soit donc la tentative d’un art qui s’éveille ou le fruit pourri d’une civilisation perdue, à quelque culte qu’elle appartienne, de quelque Olympe qu’elle descende, par sa légende et ses formes mêmes est-elle autre chose pour nous qu’une des mille manifestations de cette éternelle religion des entrailles de l’homme ? J’entends celle qui se reconstitue partout sous toutes les autres, s’étalant hier, se cachant aujourd’hui, mais qui pas plus que lui ne peut périr, car ce rêve permanent c’est le rêve individuel de son cœur, ce culte-là c’est le culte de son être : l’adoration de la Vie dans le principe qui la donne.

Le château qui a recueilli la statue est ruiné, rasé, disparu ; la Vénus se dresse au milieu des broussailles sous un dôme de feuilles vertes. Plus d’enceinte sacrée, de cérémonies, d’adorations ; il ne reste d’elle qu’elle seule, c’est-à-dire le Dieu sans la foi, ce qui est peu de chose ou rien du tout. Voilà donc le cadavre de ce qui fut peut-être une religion et ce qui demeure en définitive de la croyance de plusieurs siècles ! L’idole cependant n’est pas morte sans pousser un râle qui s’entend encore : sur la chapelle chrétienne élevée à la place où jadis était son temple, son nom réapparaît comme l’outrage d’un souvenir dont on ne