Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/168

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de sarrasin et sa jatte de bouillie de maïs cuite depuis huit jours dont il se nourrit toute l’année, à côté des porcs qui rôdent sous la table et de la vache qui rumine là sur son fumier, dans un coin de la même pièce.

D’ailleurs pourquoi serait-il gai ? Qu’a-t-il rapporté du bourg ? S’il a vendu son cheval, il lui faudra maintenant porter les fardeaux et traîner lui-même la charrue, belle avance ! À quoi lui sert le peu d’argent qu’il en a retiré ? est-ce que tout à l’heure ou demain ou la semaine qui s’approche on ne va pas venir le lui demander dans une langue qu’il n’entend pas, au nom de la loi qu’il ignore ? Est-ce la peine d’en gagner ? aussi travaille-t-il peu, mal, d’une façon ennuyée et sans s’inquiéter s’il pourrait mieux faire.

Méfiant, jaloux, ahuri par tout ce qu’il voit sans comprendre, il s’empresse donc bien vite de quitter la ville, le bourg, et de regagner sa chaumière cachée sous des arbres touffus, derrière la haie compacte, et là il se resserre étroitement dans la famille, à son foyer, auprès de son recteur, aux pieds du saint de l’église, et il y concentre son cœur qui, condensé sur lui-même, se double d’énergie. De tout ce qui se passe il ne sait rien, si ce n’est qu’à vingt ans son fils s’en ira se battre, puis qu’il y a une ville qui s’appelle Paris et que le roi de France est Louis-Philippe dont il vous demandera des nouvelles, par interprète, en s’informant s’il vit encore, si vous le voyez souvent, et si vous dînez chez lui.