Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/170

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se présente à vous pittoresque, colorée, rieuse, insouciante, chauffant ses poux à l’air chaud et dormant sous la treille ; mais celle du Nord, celle qui a froid, celle qui grelotte dans le brouillard et patauge nu-pieds dans la terre grasse, semble toujours humide de pleurs, engourdie, dolente, et méchante comme une bête malade. Ils sont si pauvres ! la viande pour eux est un luxe rare. Un de nos guides nous disait : « C’est mon plus grand bonheur, comme je tape dessus quand j’en attrape ! » Pour le pain, on n’en mange pas non plus tous les jours. Notre postillon de Locminé n’en avait point goûté depuis huit mois. Une telle existence n’embellit pas les races ; aussi rencontre-t-on quantité d’estropiés, de manchots, d’aveugles-nés, de bossus, de dartreux, de rachitiques ; ainsi que les chênes dont les chétifs s’étiolent au vent de la mer et dont les robustes n’en poussent que mieux, se durcissent aux gelées, ceux qui ont traversé toute cette misère sans y rien laisser n’en paraissent que plus sains, plus droits et plus solides. Ce sont ceux-là que vous voyez passer devant vous, si austères et si forts, taciturnes sous leurs longs cheveux comme leur pays sous sa sombre verdure.

Dans les villes, quoique la langue persiste, le caractère s’efface, le costume national devient plus rare, refoulé qu’il est dans la campagne par l’envahissement progressif du tailleur et de la couturière, dont la petite boutique du rez-de-chaussée étale à son vitrail quelque belle gravure de mode