Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/171

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qui fait envie. L’habitant de la ville voit s’arrêter tous les soirs la diligence au bureau des messageries, il en retire bien quelque nouvelle, soit du postillon qui a causé avec le conducteur, ou du commissionnaire qui porte les paquets ; à la tombée du jour, il converse sur sa porte avec l’huissier, le commis de la mairie ou l’employé de la sous-préfecture, lesquels lisent les journaux et savent ce qui se passe dans le monde. Petit à petit ainsi, il se désenbretonne et arrive à s’écarter du paysan qu’il méprise de plus en plus et qui s’éloigne de lui davantage, à mesure qu’ils se comprennent moins.

Ce qu’il y a encore de plus breton dans les villes, ce sont les pauvres filles qu’on fait venir pour servir comme domestiques. Confinées dans leur service, avec qui communiqueraient-elles pour perdre le caractère natal ? Voyez-les s’arrêter dans la rue avec l’homme qui apporte chaque semaine de la campagne les œufs et le beurre. Que leur dit-il ? Il leur parle de leur village, de leurs parents ; leur frère leur envoie pour cadeau de noces une belle paire de boucles d’argent, il faudra bien les porter ; il y aura bientôt un pardon, il faudra y venir. Elles iront donc et s’y retremperont à tout ce que la patrie a de plus distinctif, le langage et le costume ; aussi quand elles seront de retour chez leurs maîtres, leur cœur restera là-bas, et elles en causeront ensemble en se promenant comme elles font, par bandes de dix ou vingt, sur les places et à l’entrée de