Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/193

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cul qui, trop petit déjà pour nous deux, ne pouvait contenir notre conducteur. Il se mit donc à pied et prit par le licou la rosse engourdie qu’il traînait ainsi dans les montées et retenait dans les descentes. Quand il était fatigué, il s’asseyait derrière sur l’essieu et la machine sans s’arrêter continuait son train. Elle allait en zigzags, s’accrochant dans les haies, se cognant aux cailloux, retombant dans les ornières, s’arrêtant aux saignées, et toujours nous bocquesonnant devant les yeux sa capote recourbée qui nous dérobait le paysage. De temps à autre, en nous penchant, nous saisissions quelque chose, un massif d’arbres, une clairière dans le bois, un bout de chemin qui tournait, une épine en fleurs dans les pommiers, un bout de mer qu’on voyait à travers les branches ; mais bientôt, à cause de la pente qui montait, les brancards se levaient en l’air et nous n’apercevions plus que le ciel sur nos têtes ; ou bien si elle descendait nous plongions en avant sur les jarrets du cheval et ne recevions plus de jour que par l’intervalle de la capote et du garde-crotte qui tendaient à se refermer sur nous et s’entrechoquaient dans les cahots.

À la Forêt nous passâmes sur une digue qui continuait la route dans l’eau et coupait par le milieu une des plus charmantes baies qu’il y ait. Elle s’avance dans les terres entre deux coteaux boisés dont les arbres descendant jusqu’en bas trempent dans les flots le bout de leur feuillage qui retombe en touffes diffuses, avec des courbes