Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/227

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avaient de gros pieds ronds piqués de mites et tout fendus de sécheresse. Sur chacun d’eux étaient une paillasse et un matelas recouverts d’une couverture verte trouée par des morsures de souris et dont la frange était faite par les fils qui s’effilaient. Un morceau de miroir cassé dans son cadre déteint ; à un clou, un carnier suspendu, et, près de là, une vieille cravate de soie dont on reconnaissait le pli des nœuds, indiquaient que ce lit était habité par quelqu’un, et, sans doute, qu’on y couchait tous les soirs.

Sous l’un des oreillers de coton rouge, une chose hideuse se découvrit ; à savoir un bonnet de même couleur que la couverture des lits, mais dont un glacis gras empêchait de reconnaître la trame, usé, élargi, avachi, huileux, froid au toucher. J’ai la conviction que son maître y tient beaucoup et qu’il le trouve plus chaud que tout autre. La vie d’un homme, la sueur d’une existence entière est concrétée là en cette couche de cérat ranci. Combien de nuits n’a-t-il pas fallu pour la former si épaisse ? que de cauchemars se sont agités là-dessous, que de rêves y ont passé ! Et de beaux, peut-être. Pourquoi pas ?

[1]Une délicatesse exagérée nous empêcha de jeter cette ordure par la fenêtre et nous nous contentâmes de la repousser du pied sous le lit. Que serait-il advenu si nous y eussions trouvé des savates qui devaient aller au bonnet ? Et ensuite

  1. Inédit, pages 227 à 239.