Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/252

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blement ennuyé. Muselé, il avait de plus autour du cou un collier d’où pendait une chaîne de fer, un cordon passé dans les narines pour le faire docilement manœuvrer, et sur la tête une sorte de capuchon de cuir qui lui protégeait les oreilles. On l’attacha au mât du milieu ; alors ce fut un redoublement d’aboiements aigus, enroués, furieux. Les chiens se dressaient, se hérissaient, grattaient la terre, la croupe en haut, la gueule basse, les pattes écartées et, dans un angle, vis-à-vis l’un de l’autre, les deux maîtres hurlaient pour les mieux exciter. On lâcha d’abord trois dogues ; ils se ruèrent sur l’ours qui commença à tourner autour du poteau et les chiens couraient après, se bousculant, gueulant, tantôt renversés, à demi écrasés sous ses pattes, puis se relevant aussitôt et bondissant se suspendre à sa tête qu’il secouait en vain sans pouvoir se débarrasser de cette couronne de corps endiablés qui s’y tordaient et le mordaient. L’œil fixé sur eux, les deux maîtres guettaient le moment précis où l’ours allait être étranglé ; alors ils se précipitaient dessus, les en arrachaient, les tiraient par le cou, et pour leur faire lâcher prise leur mordaient la queue. Ils geignaient de douleur, mais ne cédaient pas. L’ours se débattait sous les chiens, les chiens mordaient l’ours, les hommes mordaient les chiens. Un jeune bouledogue, entre autres, se distinguait par son acharnement ; cramponné par les crocs à l’échine de l’ours, on avait beau lui mâcher la queue, la lui plier en double, lui