Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/262

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inégales, et la grande prairie qui les sépare en se répandant au milieu.

Un fragment d’escalier mène encore à une tour démantelée. Çà et là les pierres sortent d’entre les herbes, et la roche se montre entre les pierres. Il semble, parfois, qu’elle a d’elle-même des formes artificielles, et que la ruine, au contraire, plus elle s’éboule, revêt des apparences naturelles et rentre dans la nature.

D’en bas, sur un grand morceau de muraille, monte un lierre ; mince à sa racine, il va s’élargissant en pyramide renversée et, à mesure qu’il s’élève, assombrit sa couleur verte qui est claire à la base et noire au sommet. À travers une ouverture dont les bords se cachaient sous le feuillage, le bleu du ciel passait.

C’était dans ces parages que vivait le fameux dragon tué jadis par le chevalier Derrien qui s’en revenait de la Terre Sainte. Il se mit à l’attaquer dès qu’il eut, il est vrai, retiré de l’eau l’infortuné Elorn qui, après avoir livré successivement ses esclaves, ses vassaux, ses serviteurs (il ne lui restait plus que sa femme et son fils), venait de se jeter lui-même du haut de sa tour, la tête en bas, dans la rivière ; mais le monstre, mortellement blessé et lié par l’écharpe de son vainqueur, alla bientôt, sur son ordre, se noyer dans la mer, à Poulbeunzual[1], ainsi que l’avait été, sur le commandement de saint Pol de Léon, le crocodile de l’île de

  1. Par contraction de Poulbeuzanneval : marais où fut noyée la bête. (Note du manuscrit de Gustave Flaubert.)