Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/304

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dron suintait en gouttelettes noires. Dans la brume pénétrée de soleil, seul au milieu de la mer, se levait le Mont Saint-Michel, dôme bleuâtre aux sommets découpés ; à droite, les côtes de Normandie continuant, de leur ligne mamelonneuse, la coupe immense de la baie, allaient graduellement s’abaissant et confondaient à l’horizon le vague de leurs contours dans la blancheur des nuées légères.

Nous glissions sur la vase tiède où nos pieds nus enfonçaient jusqu’à la cheville ; de place en place, dans des flaques d’eau encloses de carrés de galets, quelques huîtres dormaient dans leurs vertes coquilles comme des gens qui font la sieste, les jalousies fermées.

Pour aller au rocher de Cancale nous montâmes en chaloupe, on hissa la voile qui s’étendit dans toute sa hauteur et nous couvrit de son ombre, elle se mirait sur l’eau, nous allions doucement, sans bruit, lentement.

Le rocher a deux pics inégaux, ou plutôt ce sont deux rochers séparés par une crevasse dans laquelle on passe à marée haute ; il est fait de blocs accumulés ; il y pousse des tamarins, du serpolet et des bruyères. Des lapins qui l’habitent débusquent effrayés quand vous jetez des cailloux dans les broussailles. Quand nous l’eûmes gravi jusqu’en haut, que nous nous fûmes assis à plusieurs places et promenés partout, nous regagnâmes la chaloupe qui nous déposa un quart d’heure après sur le galet au pied de la falaise.