Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/316

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Il était midi. Par la porte ouverte le grand jour entrant faisait ruisseler ses effluves sur les pans sombres de l’édifice.

La nef séparée du chœur par un grand rideau de toile verte est garnie de tables et de bancs, car on l’a utilisée en réfectoire.

Quand on dit la messe, on tire le rideau, et les condamnés assistent à l’office divin sans déranger leurs coudes de la place où ils mangent : cela est ingénieux.

Pour agrandir de douze mètres la plate-forme qui se trouve au couchant de l’église, on a tout bonnement raccourci l’église ; mais comme il fallait une entrée quelconque, un architecte a imaginé de fermer la nef par une façade de style grec ; puis, éprouvant peut-être des remords ou voulant, ce qui est plus croyable, raffiner son œuvre, il y a rajouté après coup des colonnes à chapiteaux « assez bien imités du xie siècle », dit la notice. Taisons-nous, courbons la tête. Chacun des arts a sa lèpre particulière, son ignominie mortelle qui lui ronge le visage. La peinture a le portrait de famille, la musique a la romance, la littérature a la critique et l’architecture a l’architecte.

Les prisonniers marchaient sur la plate-forme, tous en rang, l’un derrière l’autre, les bras croisés, ne parlant pas, dans ce bel ordre enfin que nous avions contemplé à Fontevrault. C’étaient les malades de l’infirmerie auxquels on faisait prendre l’air et qu’on distrait ainsi pour les guérir.