Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/346

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mettre pied à terre, à s’étendre sur l’herbe, à écouter le bruit de cette pauvre eau paisible, que je n’appelle pas onde ; ce n’est ni grand, ni beau, ni bien vert, mais c’est, si vous voulez, un refrain de Charles d’Orléans, pas plus, où la naïveté seule a une certaine tendresse qui n’est pas même du sentiment, tant c’est faible et calme, mais tranquille est doux.

Il ne faut rien moins que la vue de Blois pour faire penser à quelque chose de plus vigoureux et vous remettre en mémoire la cour d’Henri III. Hélas ! je n’ai point vu le château où Henri se vengea de sa peur, ni ce lit, comme dit Chateaubriand, où tant d’ignominies firent mourir tant de gloire ; la rapidité de ma course m’a à peine laissé la vue des murs extérieurs.

Si j’avais été un beau gentilhomme tourangeau comme ceux à qui je pensais alors, marchant dans son xvie siècle, les mains dans les poches et le large chapeau sur les oreilles, ou s’acheminant sur sa mule aux États de Blois, je n’aurais pas manqué de relire mon Rabelais à l’ombre de ces vignes où il dormit ; car il a vécu là. Ces sentiers sur le sable, dans les roseaux, il y a fait sieste un certain jour peut-être qu’il était soulas ; son rire a retenti le long des peupliers qui bordent la rivière ; cette voix de Gargantua a rebondi sur ces coteaux, s’en est allée le long de ce courant calme et doux se perdre dans l’Océan plein de clameurs que toutes les autres dérisions ont grossi avec elle ; le géant a marché dans ces larges plaines,