Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/358

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dans nos maisons bien fermées, qui sont plus vides, hélas, que les caravansérails délabrés de l’Orient, abandonnés qu’ils sont à tous les vents qui dessèchent, où nous habitons seuls, sans dieux et sans fées, sans passé et sans avenir, sans orgueil de nos ancêtres, sans espoir religieux dans notre postérité, sans gloires ni armoiries sur nos portes, ni sans christ au chevet.

Quand nous entrions dans les ateliers, on levait la tête pour voir les étrangers, quelques-uns la détournaient avec mépris vers M. Alexandre, les autres continuaient silencieusement ; on n’entendait que le bruit de la meule qui tournait et celui de l’argile clapotée dans l’eau. Est-ce que cela n’est pas triste que de voir ce travail morne et sérieux, cette machine composée d’hommes aller sans bruit, tant d’intelligences travailler sous le même niveau ? Il y a de beaux enfants du Midi, aux yeux noirs, au sourcil arqué, au teint cuivré et qui se courbent et qui pétrissent la terre glaise. Autant valaient des coups de lance et même la famine dans les camps ; mais de l’air au moins, du soleil, de l’action et des coups d’épée en rase campagne, quelque chose qui anoblisse et qui grandisse ! Je sais bien qu’il y a quelque chose d’étroit à tout considérer ainsi sous un petit point de vue sentimental et étriqué, que c’est fausser l’histoire et nier le mouvement que de lapider le présent par le passé, les modernes par les anciens ; j’en demande pardon et je trouve cela assez bête, mais que voulez-vous ? C’est l’image d’un garçon de