Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/391

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quant à un sens clair, à une idée nette, c’est ce qu’il n’y faut point chercher. Dans Montaigne tout est libre, facile ; on y nage en pleine intelligence humaine, chaque flot de pensée emplit et colore la longue phrase causeuse qui finit tantôt par un saut tantôt par un arrêt. La pensée de la Renaissance, d’abord vague et confuse, pleine de rire et de joie géante dans Rabelais, est devenue plus humaine, dégagée d’idéal et de fantastique ; elle a quitté le roman et est devenue philosophie. Ce que je voudrais nettement exprimer, c’est la marche ascendante du style, le muscle dans la phrase qui devient chaque jour plus dessiné et plus raide. Ainsi passez de Retz à Pascal, de Corneille à Molière, l’idée se précise et la phrase se resserre, s’éclaire ; elle laisse rayonner en elle l’idée qu’elle contient comme une lampe dans un globe de cristal, mais la lumière est si pure et si éclatante qu’on ne voit pas ce qui la couvre. C’est là, si je ne me trompe, l’essence de la prose française du XVIIe siècle : le dégagement de la forme pour rendre la pensée, la métaphysique dans l’art, et, pour employer un mot qui sent trop l’école, la substance en tant qu’être. Je doute que l’architecture ait fait quelque chose de semblable. Elle se dépouille bien, en effet, comme le style, de tous les contours qui entravaient sa marche, et comme dans le style aussi elle a passé un rabot qui fait sauter mille choses gracieuses de la Renaissance ou du moyen âge qui disparaissent pour toujours avec les derniers vestiges de grâce naïve ; la bonne