Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/417

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CORSE.


Quand nous sommes partis de Toulon, la mer était belle et promettait d’être bienveillante aux estomacs faibles, aussi me suis-je embarqué avec la sécurité d’un homme sûr de digérer son déjeuner. Jusqu’au bout de la rade en effet le perfide élément est resté bon enfant, et le léger tangage imprimé à notre bateau nous remuait avec une certaine langueur mêlée de charme. Je sentais mollement le sommeil venir et je m’abandonnais au bercement de la naïade tout en regardant derrière nous le sillage de la quille qui s’élargissait et se perdait sur la grande surface bleue. À la hauteur des îles d’Hyères, la brise ne nous avait pas encore pris, et cependant de larges vagues déferlaient avec vigueur sur les flancs du bateau, sa carcasse en craquait (et la mienne aussi) ; une grande ligne noire était marquée à l’horizon et les ondes, à mesure que nous avancions, prenaient une teinte plus sombre, analogue tout à fait à celle d’un jeune médecin qui se promenait de long en large et dont les joues ressemblaient à du varech tant il était vert d’angoisse. Jusque-là j’étais resté couché sur le dos, dans la position la plus horizontale