Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/431

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dans les rues de la ville où nous nous promenions avec lui.

On retrouve en Corse beaucoup de choses antiques : caractère, couleur, profils de têtes. On pense aux vieux bergers du Latium en voyant ces hommes vêtus de grosses étoffes rousses ; ils ont la tête pâle, l’œil ardent et couleur de suie, quelque chose d’inactif dans le regard, de solennel dans tous les mouvements ; vous les rencontrez conduisant des troupeaux de moutons qui broutent les jeunes pousses des maquis, l’herbe qui pousse dans les fentes du granit des hautes montagnes ; ils vivent avec eux, seuls dans les campagnes, et le soir quand on voyage, on voit tout à coup leurs bêtes sortir d’entre les broussailles, çà et là sous les arbres, et mangeant les ronces. Éparpillés au hasard, ils font entendre le bruit de leurs clochettes qui remuent à chacun de leurs pas dans les broussailles[1]. À quelque distance

  1. Les moutons de la Corse sont tous noirs, petits, de forme nerveuse ; leurs yeux sont rouges, bien plus grands et plus ardents que ceux des nôtres. Ils portent au milieu du front une houppe épaisse, touffue, qui leur ombrage la tête et leur donne un aspect étrange. Les porcs ressemblent généralement aux sangliers : tête allongée, pattes hautes et fines. On m’a expliqué cette ressemblance en me disant qu’ils provenaient souvent du croisement des sangliers avec les truies qu’on laisse courir dans le maquis. Les troupeaux sont un fléau pour le propriétaire corse ; ils ravagent tout ce qui se trouve sur leur passage, et il y aurait souvent un héroïsme étourdi à arrêter un pourceau dans son repas. Les chiens corses n’ont rien de remarquable, généralement rouges, laids et peu caressants, moins intelligents, il me semble, que nos chiens de berger. Les chevaux qu’on voit dans l’île sont de deux espèces : corses ou sardes, les premiers infiniment préférables aux seconds ; ils tiennent un peu du cheval arabe par le cou allongé et marqué, la tête carrée et droite. Les chevaux sardes sont plus gras, plus lourds ; on les reconnaît surtout à leur encolure épaisse, à la pose fatiguée quand ils sont sans cavaliers.