Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/440

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traversait pas, il y a vingt ans, sans faire son testament. Il nous a indiqué les mouvements stratégiques opérés par les voltigeurs pour s’emparer des bandits et nous a donné sur cette matière tous les documents que nous lui avons demandés. Rarement ou, pour mieux dire, jamais un bandit ne se rend ; attaqué, il se bat tant que sa cartouchière est pleine, et sa dernière balle, il la réserve pour lui. Quelquefois, quand le maquis où il se tient est cerné de toutes parts, le bandit reste couché à plat ventre sous les broussailles et échappe ainsi à toute investigation ; c’est même la manière la plus sûre[1].

Le capitaine nous raconta l’histoire d’un bandit des environs de Bastia qu’il a tué de sa main. D’une force prodigieuse et d’une férocité analogue, cet homme exerçait sur la Corse entière un absolutisme asiatique : il assignait aux pères et aux maris le jour et le lieu où ils devaient lui envoyer leurs filles et leurs femmes. Quand le capitaine l’eut tué, on fit une fête générale dans le pays, et depuis Bastia jusqu’à Isolaccio, tous les paysans se pressaient à sa rencontre pour le remercier.

À Bocognano, nous trouvons nos chevaux et nous piquons vers la forêt de Vizzavona. Le capitaine s’est fait escorter par deux voltigeurs. Est-ce pour nous faire honneur ? Est-ce par prudence ?

  1. On en cite un qui s’était attaché au cou une sonnette de chèvre et, imitant autant qu’il pouvait les sauts de cet animal, il passa ainsi très tranquille plusieurs années dans le maquis.