Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/444

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avec une main des arbres de trente pieds et nous les brisant sur le dos en riant aux éclats. C’était chose assez comique que de nous voir enlever de terre des poutres énormes et les lancer à quarante pas aussi facilement que nous eussions fait d’une badine. Après nous être ainsi divertis une bonne demi-heure et avoir ri tout notre soûl, nous avons rejoint nos gens à qui nous avons dit que nous venions de faire des observations botaniques.

Il était tard quand nous sommes arrivés à Ghisoni, maigre village où il me semblait impossible de loger des honnêtes gens. On nous a conduits devant une grande maison grise et délabrée. Quoiqu’il fût nuit, je ne voyais aucune lumière aux fenêtres, et la porte qui s’ouvrait sur la rue était celle d’une salle basse où grognaient des pourceaux. À un angle de cette pièce enfumée était placée une large échelle en bois et dont les marches peu profondes ne permettaient de monter qu’en se tournant de côté. Nous avons trouvé le maître et sa femme qui ne nous attendaient que le lendemain. Ils se sont donc beaucoup excusés sur ce qu’ils avaient déjà dîné, et se sont mis tout de suite à préparer notre repas. La maîtresse était une grande femme maigre, vêtue d’une robe bleue faite sans doute d’après une gravure de mode du temps de l’Empire, c’est là, du reste, tout ce que je puis dire d’elle, car elle ne nous a pas adressé un mot et nous a servis silencieusement et respectueusement comme une servante. C’est, du reste, une chose à remarquer en Corse