Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/457

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enfin il nous a dit adieu à plusieurs reprises, nous lui avons souhaité bonne réussite, il nous a longuement serré la main et nous a quittés le cœur tout navré de tendresse.

Nous devions aller coucher le lendemain soir à Corte, il nous fallait traverser tout le Fiumorbo et la plaine d’Aleria. C’était une forte journée, aussi commençâmes-nous à 4 heures du matin. Comme if faisait encore froid, nous marchâmes deux heures environ pour nous échauffer ; le fils Laurelli nous a accompagnés jusqu’au bout du pays, et là nous nous sommes séparés. Car c’est là voyager ! On arrive dans un lieu, des amitiés se lient, et à l’heure où elles vont s’accomplir, tout se défait, et l’on sème ainsi partout quelque chose de son cœur. Les premiers jours cela attriste, on s’arrache difficilement de tout ce que l’on a vu qui vous plaît, mais l’habitude venant, il ne vous prend plus envie de regarder en arrière, on pense toujours au lendemain, quelquefois au jour même, jamais à la veille ; l’esprit, comme les jambes, s’accoutume à vous porter en avant, et comme dans un panorama perpétuel, tout passe près de vous rapidement, vu au galop de votre course. Vallées pleines d’ombre, maquis de myrtes, sentiers sinueux dans les fougères, golfes aux doux murmures dans les mers bleues, larges horizons de soleil, grandes forêts aux pins décharnés, confidences faites dans le chemin, figures qu’on rencontre, aventures imprévues, longues causeries avec des amis d’hier, tout cela