Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/472

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Le matin, quand nous longeâmes les côtes de la Provence, le temps devint rude, les flots fumaient à l’horizon, notre navire s’avançait lentement et rudement secoué, et sa proue pointait dans l’eau. J’ai fait la conversation avec un officier qui a entré en fraude une grande quantité de tabac corse, et avec un épicier qui m’a pris pour un commis voyageur. Allons, finissons-en vite, arrivons au port, puisque nous sommes en rade. C’est en vain que depuis huit jours je suis à m’amuser à ceci, il faut bien plier la feuille, tout cela à deux mains, et quitter le passé, lui qui vous quitte si facilement. J’ai fait le traînard tant que j’ai pu, me promenant cent fois d’Ajaccio à Bastia, de Ghisoni dans la forêt de Marmano, revenant sur mes pas, revoyant les sentiers parcourus, ramassant des feuilles tombées, me jouant avec mes souvenirs comme avec de vieux habits ; il faut se hâter de finir mon voyage qui, du train que je mets à le raconter, pourra bien finir au mois d’août prochain.

Je vous fais grâce du bagne et de l’arsenal, de la description pittoresque et des réflexions humanitaires, j’aime mieux dire qu’un certain soir encore j’ai été à la bastide de Lauvergne. La mer vient battre au pied de sa terrasse ; à gauche il y a une anse dans le rocher, faite exprès par les Tritons pour y nager aux heures de nuit ; de dessus un tombeau turc qui sert de banc, on voit toute la Méditerranée ; son jardin est en désordre, l’herbe pousse dans les murs, la fontaine est tarie, les cannes de Provence sont cassées, mais l’éternelle