Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/57

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vous envoient un regard idiotement profond qui déplaît tout en attirant ; à la main elle tient un petit livre, un livre de prières, elle passe sa vie dans les bas côtés de l’église, à l’ombre humide des piliers, éblouie par les illuminations de l’autel, incessamment éperdue dans les emportements de l’amour mystique, et le soir elle rentre dans son grenier nu où elle a des apparitions de la Vierge et des voix d’anges qui l’appellent par son nom.

Voici un rare et bon portrait, celui d’Élisabeth d’Angleterre, par Tibaldi. Il faut renoncer, s’il n’est pas ressemblant, à se faire jamais une idée des gens que l’on n’a pas connus, ce qui serait triste vu que tous ceux que l’on connaît d’ordinaire ne sont pas si récréatifs. Une prodigieuse fraise à gros tuyaux empesés, brodée d’un fil noir, enserre sa longue tête osseuse, aux pommettes saillantes et aux lèvres rouges ; son front pâle est droit, élevé et fièrement intelligent. Sous des sourcils blonds, rares à leur jonction, ses grands yeux bleus, sortis, grands ouverts, roulent et regardent avec vivacité et réflexion ; le menton pointu, le bout du nez rond, la bouche avancée où l’on pressent des dents longues décèlent la férocité sensuelle, tandis que la chevelure d’un blond roux, très montée et ondée en demi-cercles successifs, et ornée d’œillets rouges sur le côté gauche, lui donne un air raide et noble, un ragoût bizarre d’une distinction imposante. C’est celle-là qu’on appelait de son temps « l’émeraude des mers, la perle de l’Occident », et pour laquelle, jouant Ri-