Page:Flaubert - Salammbô.djvu/125

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— Repousse de ton âme ces misères qui la dégradent ! Tu obéissais autrefois ; à présent tu commandes une armée, et, si Carthage n’est pas conquise, du moins on nous accordera des provinces, nous deviendrons des rois !

Mais comment la possession du zaïmph ne leur donnait-elle pas la victoire ? D’après Spendius, il fallait attendre.

Mâtho s’imagina que le voile concernait exclusivement les hommes de race chananéenne, et, dans sa subtilité de Barbare, il se disait : « Donc le zaïmph ne fera rien pour moi ; mais, puisqu’ils l’ont perdu, il ne fera rien pour eux. »

Ensuite, un scrupule le troubla. Il avait peur, en adorant Aptouknos, le dieu des Libyens, d’offenser Moloch ; et il demanda timidement à Spendius auquel des deux il serait bon de sacrifier un homme.

— Sacrifie toujours ! dit Spendius, en riant.

Mâtho, qui ne comprenait point cette indifférence, soupçonna le Grec d’avoir un génie dont il ne voulait pas parler.

Tous les cultes, comme toutes les races, se rencontraient dans ces armées de Barbares, et l’on considérait les dieux des autres, car ils effrayaient aussi. Plusieurs mêlaient à leur religion natale des pratiques étrangères. On avait beau ne pas adorer les étoiles, telle constellation étant funeste ou secourable, on lui faisait des sacrifices ; une amulette inconnue, trouvée par hasard dans un péril, devenait une divinité ; ou bien c’était un nom, rien qu’un nom, et que l’on répétait sans même chercher à comprendre ce qu’il pouvait dire. Mais, à force d’avoir pillé des temples, vu quantité de