Page:Flaubert - Salammbô.djvu/141

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existant toujours. Les Anciens évitaient par là un maître de plus, et ils n’avaient pas manqué pour Hamilcar d’obéir à la coutume.

Le Suffète s’avança dans les appartements déserts. À chaque pas il retrouvait des armures, des meubles, des objets connus qui l’étonnaient cependant, et même sous le vestibule il y avait encore, dans une cassolette, la cendre des parfums allumés au départ pour conjurer Melkarth. Ce n’était pas ainsi qu’il espérait revenir ! Tout ce qu’il avait fait, tout ce qu’il avait vu se déroula dans sa mémoire : les assauts, les incendies, les légions, les tempêtes, Drépanum, Syracuse, Lilybée, le mont Etna, le plateau d’Éryx, cinq ans de batailles, — jusqu’au jour funeste où, déposant les armes, on avait perdu la Sicile. Puis il revoyait des bois de citronniers, des pasteurs avec des chèvres sur des montagnes grises, et son cœur bondissait à l’imagination d’une autre Carthage établie là-bas. Ses projets, ses souvenirs, bourdonnaient dans sa tête, encore étourdie par le tangage du vaisseau ; une angoisse l’accablait, et devenu faible tout à coup, il sentit le besoin de se rapprocher des dieux.

Alors il monta au dernier étage de sa maison ; puis ayant retiré d’une coquille d’or suspendue à son bras une spatule garnie de clous, il ouvrit une petite chambre ovale.

De minces rondelles noires, encastrées dans la muraille et transparentes comme du verre, l’éclairaient doucement. Entre les rangs de ces disques égaux, des trous étaient creusés, pareils à ceux des urnes dans les columbariums. Ils contenaient chacun une pierre ronde, obscure, et qui paraissait