Page:Flaubert - Salammbô.djvu/219

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nois nouveaux prirent en mariage des Lacédémoniennes, qui étaient blondes.

Quelques-unes s’obstinèrent à suivre les armées. Elles couraient sur le flanc des syntagmes, à côté des capitaines. Elles appelaient leurs hommes, les tiraient par le manteau, se frappaient la poitrine en les maudissant, et tendaient au bout de leurs bras leurs petits enfants nus qui pleuraient. Ce spectacle amollissait les Barbares ; elles étaient un embarras, un péril. Plusieurs fois on les repoussa, elles revenaient ; Mâtho les fit charger à coups de lance par les cavaliers de Narr’Havas ; et comme des Baléares lui criaient qu’il leur fallait des femmes :

— Moi, je n’en ai pas ! répondit-il.

À présent, le génie de Moloch l’envahissait. Malgré les rébellions de sa conscience, il exécutait des choses épouvantables, s’imaginant obéir à la voix d’un dieu. Quand il ne pouvait les ravager, Mâtho jetait des pierres dans les champs pour les rendre stériles.

Par des messages réitérés, il pressait Autharite et Spendius de se hâter. Mais les opérations du Suffète étaient incompréhensibles. Il campa successivement à Eidous, à Monchar, à Tehent ; des éclaireurs crurent l’apercevoir aux environs d’Ischil, près des frontières de Narr’Havas, et l’on apprit qu’il avait traversé le fleuve au-dessus de Tebourba, comme pour revenir à Carthage. À peine dans un endroit, il se transportait vers un autre. Les routes qu’il prenait restaient toujours inconnues. Sans livrer de bataille, le Suffète conservait ses avantages ; poursuivi par les Barbares, il semblait les conduire.