Page:Flaubert - Salammbô.djvu/231

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le long des rampes, formait sur les marches des cascades rouges. Un délire funèbre agitait Carthage. Du fond des ruelles les plus étroites, des bouges les plus noirs, des figures pâles sortaient, des hommes à profil de vipère et qui grinçaient des dents. Les hurlements aigus des femmes emplissaient les maisons, et, s’échappant par les grillages, faisaient se retourner sur les places ceux qui causaient debout. On croyait quelquefois que les Barbares arrivaient ; on les avait aperçus derrière la montagne des Eaux-Chaudes ; ils étaient campés à Tunis ; les voix se multipliaient, grossissaient, se confondaient en une seule clameur. Puis un silence universel s’établissait ; les uns restaient grimpés sur le fronton des édifices, avec leur main ouverte au bord des yeux, tandis que les autres, à plat ventre au pied des remparts, tendaient l’oreille. La terreur passée, les colères recommençaient. Mais la conviction de leur impuissance les replongeait bientôt dans la même tristesse.

Elle redoublait chaque soir, quand tous, montés sur les terrasses, poussaient, en s’inclinant par neuf fois, un grand cri, pour saluer le Soleil. Il s’abaissait derrière la lagune, lentement, puis, tout à coup, il disparaissait dans les montagnes, du côté des Barbares.

On attendait la fête trois fois sainte où, du haut d’un bûcher, un aigle s’envolait vers le ciel, symbole de la résurrection de l’année, message du peuple à son Baal suprême, et qu’il considérait comme une sorte d’union, une manière de se rattacher à la force du Soleil. D’ailleurs, empli de haine maintenant, il se tournait naïvement vers