Page:Flaubert - Salammbô.djvu/234

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tête ; et dans l’angle de ses paupières on apercevait de petits points rouges qui paraissaient remuer. De temps à autre, Salammbô s’approchait de sa corbeille en fils d’argent ; elle écartait la courtine de pourpre, les feuilles de lotus, le duvet d’oiseau ; il était continuellement enroulé sur lui-même, plus immobile qu’une liane flétrie ; à force de le regarder, elle finissait par sentir dans son cœur comme une spirale, comme un autre serpent qui peu à peu lui montait à la gorge et l’étranglait.

Elle était désespérée d’avoir vu le zaïmph ; cependant elle en éprouvait une sorte de joie, un orgueil intime. Un mystère se dérobait dans la splendeur de ses plis ; c’était le nuage enveloppant les dieux, le secret de l’existence universelle, et Salammbô, en se faisant horreur à elle-même, regrettait de ne l’avoir pas soulevé.

Presque toujours elle était accroupie au fond de son appartement, tenant dans ses mains sa jambe gauche repliée, la bouche entr’ouverte, le menton baissé, l’œil fixe. Elle se rappelait avec épouvante la figure de son père ; elle voulait s’en aller dans les montagnes de la Phénicie, en pèlerinage au temple d’Aphaka, où Tanit est descendue sous la forme d’une étoile ; toutes sortes d’imaginations l’attiraient, l’effrayaient ; d’ailleurs une solitude chaque jour plus large l’environnait. Elle ne savait même pas ce que devenait Hamilcar.

Lasse de ses pensées, elle se levait, et, en traînant ses petites sandales dont la semelle à chaque pas claquait sur ses talons, elle se promenait au hasard dans la grande chambre silencieuse. Les améthystes et les topazes du plafond faisaient