Page:Flaubert - Salammbô.djvu/266

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Oh ! je la trouverai, tu verras. Nous vivrons dans les grottes de cristal taillées au bas des collines. Personne encore ne l’habite, ou je deviendrai le roi du pays.

Il balaya la poussière de ses cothurnes ; il voulut qu’elle mît entre ses lèvres le quartier d’une grenade ; il accumula derrière sa tête des vêtements pour lui faire un coussin. Il cherchait les moyens de la servir, de s’humilier, et même il étala sur ses jambes le zaïmph, comme un simple tapis.

— As-tu toujours, disait-il, ces petites cornes de gazelle où sont suspendus tes colliers ? Tu me les donneras ! je les aime !

Car il parlait comme si la guerre était finie, des rires de joie lui échappaient ; les Mercenaires, Hamilcar, tous les obstacles avaient maintenant disparu. La lune glissait entre deux nuages. Ils la voyaient par une ouverture de la tente.

— Ah ! que j’ai passé de nuits à la contempler ! elle me semblait un voile qui cachait ta figure ; tu me regardais à travers ; ton souvenir se mêlait à ses rayonnements ; je ne vous distinguais plus !

Et, la tête entre ses seins, il pleurait abondamment.

« C’est donc là, songeait-elle, cet homme formidable qui fait trembler Carthage ! »

Il s’endormit. Alors, en se dégageant de son bras, elle posa un pied par terre, et elle s’aperçut que sa chaînette était brisée.

On accoutumait les vierges dans les grandes familles à respecter ces entraves comme une chose presque religieuse ; Salammbô, en rougissant, roula autour de ses jambes les deux tronçons de la chaîne d’or.