Page:Flora Tristan - Peregrinations d une paria, 1838, II.djvu/22

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Je ne saurais expliquer l’effet subit que la brusquerie et la dureté de cette réponse produisirent sur moi. Ce que je peux dire, c’est qu’à l’état de sensibilité où j’étais, depuis le commencement de l’entretien, succéda immédiatement un accès d’indignation si violent, la commotion que j’en ressentis fut tellement forte, que je crus toucher à mon dernier instant. Je me promenai quelque temps dans la chambre sans pouvoir parler. De mes yeux jaillissaient des éclairs ; mes muscles étaient tendus : je n’aurais pas alors entendu tomber le tonnerre. Je ne sais ce que mon oncle disait ; j’étais dans un de ces moments où l’ame communique avec une puissance surhumaine.

Je m’arrêtai devant mon oncle, lui serrant le bras avec force, et lui parlant avec un son de voix qu’il ne m’avait jamais entendu :

— Ainsi, don Pio, de sang-froid et avec préméditation, vous repoussez la fille de votre frère, de ce frère qui vous servit de père, auquel vous devez votre éducation, votre fortune et tout ce que vous êtes ? Pour reconnaître ce que vous devez à mon père, vous qui posséder 300,000 francs de rente, vous me condamnez froidement à souffrir la misère ; quand vous avez un million