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constants, si peu de personnes les conservent, que de s’y fier pour l’avenir est la plus insigne aberration de l’esprit humain. Le précepte que la sagesse crie aux hommes, depuis plus de deux mille ans, de ne compter que sur eux-mêmes, de considérer les richesses comme accidentelles et les talents comme les seules réalités de ce monde, reçoit journellement sa démonstration dans un pays que tourmente la discorde, où les individus, soupçonnés d’être riches sont sans cesse exposés aux spoliations. Et moi aussi j’étais née pour avoir une part égale à celle de don Pio, dans l’immense fortune laissée par ma grand’mère : mon père le croyait : sa fille, disait-il, aurait un jour 40,000 francs de rente ; néanmoins je travaille pour vivre et élever mes enfants. Il n’a pas dépendu de moi d’épargner à ceux de mon oncle les rudes épreuves par lesquelles j’ai dû passer, si la fortune de leur père, comme celle du mien, venait à tromper leur espoir ; j’aurais désiré qu’ils apprissent des talents, qui pussent, dans la prospérité, les soustraire aux écarts des passions, les rendre utiles à leurs semblables, et, dans le besoin, subvenir à leur