Page:Focillon - L’Art bouddhique.djvu/172

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contemple l’univers, non comme le décor de sa fantaisie, non comme la pensée d’un dieu lointain, mais comme la palpitation d’un infini caché. Sa pensée se mêle au paysage, elle participe religieusement à tout ce qui est vie en lui. Le mot de contemplation, avec tout ce qu’il entraîne de souvenirs, le rite latin qui découpe dans le ciel un espace choisi, l’acte de l’homme qui épie et qui suppute, apparaît désormais comme un contre-sens. La rêverie pénétrante du solitaire et du poète ne délimite rien : elle s’étend à toutes les formes de l’être ; elle n’est pas une mélancolie passive : l’âme multipliée sent battre en elle toutes les pulsations de la vie. Dans la retraite du sage japonais, il n’y a rien d’une manie inhumaine, rien d’un érémitisme stérile ou de la vénérable démence du yoghi. Par un bon sens exquis, chaque fois que le génie de la race a été tenté par ces ivresses redoutables, la philosophie contemplative ou, si l’on veut, la méditation de la nature a été ramenée à son vrai sens, à ses proportions justes.

Elle ne fut pas non plus une délectation de raffinés. Les simples, les bonnes gens y eurent part. Si les riches se font bâtir des galeries pour admirer la neige et le clair de lune, les routes de la campagne sont pleines de pauvres qui s’en vont en pèlerinage vers des arbres célèbres et vers des points de vue choisis. Tous sont aptes à traduire leur émotion naturaliste par ces minuscules poèmes appelés haï-kaï qui expriment de la manière la plus nerveuse, sous une forme sentimentale ou humoristique, le brusque contact d’une