Page:Fontenelle - Œuvres de Fontenelle, Tome IV, 1825.djvu/6

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de ne rien épargner pour faire parler de vous, et que l’on doit compter pour des grâces tous les maux que vous n’avez pas faits.

HÉROSTRATE.

Il est facile de vous prouver le droit que j’avais de brûler le temple d’Éphèse. Pourquoi l’avait-on bâti avec tant d’art et de magnificence ? Le dessein de l’architecte n’était-il pas de faire vivre son nom ?

DÉMÉTRIUS.

Apparemment.

HÉROSTRATE.

Hé bien, ce fut pour faire vivre aussi mon nom, que je brûlai ce temple.

DÉMÉTRIUS.

Le beau raisonnement ! Vous est-il permis de ruiner pour votre gloire les ouvrages d’un autre ?

HÉROSTRATE.

Oui ; la vanité qui avait élevé ce temple par les mains d’un autre, l’a pu ruiner par les miennes : elle a un droit légitime sur tous les ouvrages des hommes ; elle les a faits, et elle les peut détruire. Les plus grands états mêmes n’ont pas sujet de se plaindre qu’elle les renverse, quand elle y trouve son compte ; ils ne pourraient pas prouver une origine indépendante d’elle. Un roi qui, pour honorer les funérailles d’un cheval, ferait raser la ville de Bucéphalie, lui ferait-il une injustice ? Je ne le crois pas : car on ne s’avisa de bâtir cette ville que pour assurer la mémoire de Bucéphale, et par conséquent, elle est affectée à l’honneur des chevaux.