Page:Fontenelle - Œuvres de Fontenelle, Tome IV, 1825.djvu/83

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

raison qui gouverne parmi vous, mais du moins elle fait sa protestation que les choses devraient aller autrement qu’elles ne vont ; que les héritiers, par exemple, devraient regretter leurs parens : ils reçoivent cette protestation ; et pour lui en donner acte, ils prennent un habit noir. Vos formalités ne servent qu’à marquer un droit qu’elle a, et que vous ne lui laissez pas exercer ; et vous ne faites pas, mais vous représentez ce que vous devriez faire.

FERNAND CORTEZ.

N’est-ce pas beaucoup ? La raison a si peu de pouvoir chez vous, qu’elle ne peut seulement rien mettre dans vos actions, qui vous avertisse de ce qui y devrait être.

MONTÉZUME.

Mais vous vous souvenez d’elle aussi inutilement, que de certains Grecs dont on m’a parlé ici, se souvenaient de leur origine. Ils s’étaient établis dans la Toscane, pays barbare selon eux, et peu à peu ils en avaient si bien pris les coutumes, qu’ils avaient oublié les leurs. Ils sentaient pourtant je ne sais quel déplaisir d’être devenus barbares, et tous les ans, à certain jour, ils s’assemblaient : ils lisaient en grec les anciennes lois qu’ils ne suivaient plus, et qu’à peine entendaient-ils encore ; ils pleuraient, et puis se séparaient. Au sortir de là, ils reprenaient gaiement la manière de vivre du pays. Il était question chez eux des lois grecques, comme chez vous de la raison. Ils savaient que ces lois étaient au monde ; ils en faisaient mention, mais légèrement et sans fruit : encore les regrettaient ils en quelque sorte ; mais pour la raison que vous avez abandonnée, vous ne la regrettez point du tout.