Huit ans auparavant ce même homme s’était aussi dirigé vers la demeure de Jeanne Duval, avec la même intention.
Les circonstances ne l’ayant pas favorisé, il avait subi un échec : incident lointain — devenu un événement dans sa vie — qu’il se rappelait comme hier, avec ses moindres détails.
Il fallait conquérir ce château-fort. Peu importait le plan de campagne.
Charles Gagnon s’était déguisé adroitement : aussi il faut dire qu’il avait bien changé durant ces dernières années. La vie sur mer, et le poste qu’il avait occupé, avaient donné plus d’énergie à ses traits et en avait fait un homme musculeux. Pour plus de sûreté, il teignait en noir sa chevelure châtain, laissait croître sa barbe et portait un lorgnon. À force de parler fort et au grand air, tour à tour en Espagnol et en Anglais, sa voix et sa prononciation étaient devenues autres.
Il avait confiance en pensant à la cordiale réception faite à lui par Jeanne, à ses sourires gracieux et à ses regards bienveillants.
Ce fut le cœur rempli d’émotion qu’il entra dans le salon de madame Braun. Celle-ci le reçut avec sa courtoisie habituelle. En même temps elle invita sa sœur à descendre ; elle savait bien pour qui l’ami de son mari venait à la maison.
Monsieur Braun, n’étant pas encore rentré du club, qu’il fréquentait toujours assidûment, les deux femmes se trouvaient seules pour recevoir.