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nietzsche et l’immoralisme

et de profondément vital dans une scène de cannibalisme. N’y voit-on pas l’homme, bête de proie, déchirer son semblable et affirmer la force de la vie par la destruction de ceux qui sont plus faibles ? Cette série de sophismes vaut celle de Nietzsche.

III. — Avec la persuasion que la justice est anti-vitale, Nietzsche ne pouvait manquer d’avoir en horreur tous les rêves de réorganisation selon la justice. On s’engoue maintenant partout, dit-il, « même sous le déguisement scientifique », pour un état futur de la société « auquel manquerait le caractère exploiteur ». — « Cela sonne à mon oreille comme si l’on promettait d’inventer une vie dépouillée de toutes fonctions organiques. » L’exploitation, encore un coup, n’est pas le simple résultat « d’une société corrompue, ou imparfaite et primitive », elle appartient à l’essence de la vie comme fonction organique fondamentale et est « une conséquence de la véritable volonté de puissance, qui est précisément la volonté de la vie ». Imaginez « une organisation juridique souveraine et générale », qui serait non pas « une arme dans la lutte des complexus de puissances », mais une arme « contre toute lutte générale », quelque chose enfin de conforme au « cliché communiste », une règle « qui ferait tenir toutes les volontés pour égales : » vous aurez « un principe ennemi de la vie, un agent de dissolution et de destruction pour l’humanité, un attentat à l’avenir de l’homme, un symptôme de lassitude, une voie détournée vers le néant[1] ».

Le sophisme, ici, côtoie comme toujours la vérité. L’organisation juridique ne doit pas, sans doute, empêcher toute rivalité juste, au sens de compétition et d’émulation ; mais elle peut et doit empêcher toute lutte violente et injuste, où ce serait le plus fort, le plus rusé, le moins scrupuleux et le plus méchant qui l’emporterait. La règle sociale doit tenir toutes les volontés pour « égales » en droits et en devoirs, mais non pas pour égales sous

  1. Généalogie de la morale, 2e dissertation, § 11.