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nietzsche et l’immoralisme


« Les mouches de la place publique », tel est le nom que Zarathoustra donne aux démocrates et démagogues, à tous les hommes politiques qui exploitent la crédulité du peuple et des « superflus », et qui font prendre leurs bourdonnements pour une mélodie prophétique.

    Le comédien a de l’esprit… Il croit toujours à ce par quoi il fait croire le plus fortement : — croire en lui-même !
    Demain il a une foi nouvelle, et après-demain une foi plus nouvelle encore. Il a les sens rapides comme le peuple, et des températures variables.
    Renverser, — c’est ce qu’il appelle démontrer. Rendre fou, — c’est ce qu’il appelle convaincre. Et le sang est pour lui le meilleur de tous les arguments[1].
    Fuis, mon ami, dans ta solitude, et là-haut où souffle un vent rude et fort. Ce n’est pas ta destinée d’être un chasse-mouches[2].


La patrie, selon Nietzsche, est un préjugé pour ceux qui ont en eux le germe du Surhomme (non qu’ils soient cosmopolites et humanitaires, ils ont horreur de ces fadaises), mais parce qu’ils portent leur patrie en eux et aussi dans l’avenir de l’homme[3].

Parmi les « Européens d’aujourd’hui », Nietzsche réclame une place pour lui-même entre ceux qui se donnent le titre, à ses yeux « distinctif et honorifique », de « sans-patrie ». À ceux-là, tout particulièrement, il dédie sa secrète sagesse et sa « gaie science » — « Comment nous y prendrions-nous pour être chez nous dans le présent d’aujourd’hui… La glace qui aujourd’hui tient encore est déjà devenue très mince, un vent tiède souffle, et nous autres sans-patrie nous sommes quelque chose qui brise la glace et autres réalités par trop minces… Nous ne conservons rien, nous ne voulons revenir à aucun passé, nous ne sommes rien moins que des libéraux, nous ne travaillons pas pour le progrès ; nous n’avons pas besoin de nous boucher les oreilles pour

  1. Zarathoustra, trad. fr., p. 64.
  2. Pp. 65, 66.
  3. P. 185.