Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/161

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
137
morale des maîtres et morale des esclaves

    Vraiment je voudrais que leur folie s’appelât vérité, ou fidélité,
ou justice ; mais ils ont leur « vertu » pour vivre longtemps
dans un misérable contentement de soi.
    Je suis un garde-fou au bord du fleuve : que celui qui peut
me saisir me saisisse !
    Ainsi parla Zarathoustra[1].
    Voici cependant le conseil que je vous donne, mes amis :
méfiez-vous de tous ceux dont l’instinct de punir est puissant !
    C’est une mauvaise engeance et une mauvaise race : ils ont
sur leur visage les traits du bourreau et du ratier.
    Méfiez-vous de tous ceux qui parlent beaucoup de leur
justice ! En vérité, ce n’est pas seulement le miel qui manque à
leurs âmes.
    Et s’ils s’appellent eux-mêmes les bons et les justes, n’oubliez
pas qu’il ne leur manque que la puissance pour être des pharisiens.
    Ainsi parla Zarathoustra[2] .



Mais Zarathoustra ne parle-t-il point précisément comme les socialistes, les anarchistes elles démocrates ?

    Je n’aime pas votre froide justice ; dans les yeux de vos juges
passe toujours le regard du bourreau et son couperet glacé.
    Dites-moi où se trouve la justice qui est l’amour avec des
yeux clairvoyants ?
    Inventez-moi donc l’amour qui porte non seulement toutes
les punitions, mais aussi toutes les fautes !
    Inventez-moi donc la justice qui acquitte chacun, sauf celui
qui juge !
    Mais comment saurais-je être juste au fond de l’âme ? Comment
pourrais-je donner à chacun le sien ? Que ceci me suffise ;
je donne à chacun le mien ![3]



IV



Nietzsche a quelque part appelé Renan le « demi-prêtre, demi-satyre » ; il est cependant tout plein de ses idées ou plutôt de ses fantaisies. Si Renan dit que

  1. Tr. fr., p. 47.
  2. Zarathoustra, tr. fr., p. 137.
  3. Zarathoustra, tr. fr., p. 91.