Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/213

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
189
la venue du surhomme

aussi de l’artiste. La génialité affranchit l’homme de toutes les sujétions et de tous les préjugés ; la vraie vertu est une forme du génie ; le génie seul est vraiment libre, parce qu’il pose tout lui-même et qu’il ne reconnaît d’autre loi que la sienne. « Supérieur à la grammaire morale, il peut se permettre contre elle toutes sortes de licences. Pour les natures vulgaires, rien de plus élevé que le travail ; pour le génie, il n’y a que jouissance. La fantaisie, l’imagination créatrice, l’esprit, l’humour, sont une seule et même chose, et cette chose est tout. » Nietzsche ajoutera le rire, le « bon rire », et non seulement il autorisera les licences contre la grammaire morale, mais il détruira entièrement toute grammaire des mœurs.

Le « Génie » des romantiques devint le « Surhomme » de Gœthe. — « Quelle pitoyable frayeur, dit Méphistophélès à Faust, s’empare du Surhomme que tu es ? » Nietzsche ne connaîtra pas cette frayeur ; il empruntera à Gœthe et le nom et la chose.

Dans son Faust, Gœthe met à la bouche de l’esprit qui nie sans cesse la comparaison entre le droit traditionnel et le droit supérieur qui naît avec nous. Ce droit supérieur, c’est celui des puissances que nous portons en nous-mêmes, de la force supérieure qui est en nous, qui est nous. Après Schlegel, Gœthe et tant d’autres, Stirner n’eut pas de grands efforts d’imagination à faire pour inventer son « Unique ».

Nous retrouvons également le Surhomme chez Schopenhauer, mais dans un meilleur sens. La vie heureuse étant impossible, « ce que l’homme peut réaliser de plus beau, dit Schopenhauer, c’est une existence héroïque » ; une existence où, après s’être dévoué à une cause d’où peut résulter quelque bien d’ordre général, après avoir affronté des difficultés sans nombre, l’homme demeure finalement vainqueur, mais n’est récompensé que mal ou pas du tout. Alors, au dénouement, l’homme reste pétrifié, comme le prince