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la venue du surhomme


Ici, le sophisme remonte à la surface, et il est difficile de voir comment, même chez des esprits supérieurs, Je mensonge est nécessaire pour la vérité même.

    Vous qui créez, hommes supérieurs Quiconque doit enfanter est malade ; mais celui qui a enfanté est impur.
    Demandez aux femmes : on n’enfante pas parce que cela fait plaisir. La douleur fait caqueter les poules et les poètes.
    Vous qui créez, il y a en vous beaucoup d’impuretés. C’est qu’il vous fallut être mères.
    Un nouvel enfant : ô combien de nouvelles impuretés sont venues au monde Ecartez-vous Celui qui a enfanté doit laver son âme !



Nietzsche se représente tous les enfantements de grandes choses sur le même modèle que les enfantements d’États, d’empires ou de républiques, que les œuvres de César, de Bismarck, de Robespierre ou de Bonaparte. C’est toujours la fin justifiant l’impureté des moyens, le droit du génie supprimant tout droit.

La véritable histoire, ajoute Nietzsche, n’est pas celle des masses, mais seulement celle des individus de génie : « Il viendra un temps, dit-il, où l’on s’abstiendra sagement d’esquisser le plan de « l’évolution universelle » ou de « l’histoire de l’humanité », un temps où l’on ne considérera plus, d’une manière générale, les masses, mais au contraire les individus isolés, dont la série forme comme une sorte de pont au-dessus des flots tumultueux du devenir. Ils ne se succèdent pas d’après une loi de progression historique, mais ils vivent en dehors du temps, « contemporains les uns des autres grâce à l’histoire qui rend possible cette coexistence » ; ils vivent comme cette république des génies, dont Schopenhauer a parlé un jour : « un géant appelle l’autre à travers les intervalles déserts des siècles, et, par-dessus la tête des pygmées turbulents et bruyants qui grouillent tout à l’entour d’eux, se continue le noble entretien de ces esprits sublimes ». La mission de l’histoire est « de servir de trait d’union entre