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la venue du surhomme

même, chez certains, un moyen d’augmenter la vie totale : c’est donc bien le tout de la vie, c’est la vie universelle qui importe. L’amour qu’a la partie pour elle-même n’a de valeur qu’autant que la partie, en s’aimant ainsi, accroît la vie du tout. Et si elle ne l’accroît pas, si l’individu ne vaut pas pour le tout, il ne doit plus s’aimer. Qu’il ne se targue pas de son individualité auprès de Nietzsche ; celui-ci ne connaît pas votre vie, à vous, ni même la sienne, à lui, il ne connaît que la Vie. « L’homme isolé », dit-il avec autant de force que Guyau, « l’individu, tel que le peuple et les philosophes l’ont entendu jusqu’ici, est une erreur ; il n’est rien en soi ; il n’est pas un atome, un anneau de la chaîne, un héritage laissé par le passé, il est toute l’unique lignée de l’homme jusqu’à lui-même. S’il représente révolution descendante, la ruine, la dégénérescence chronique, la maladie…, sa part de valeur est bien faible, et la simple équité veut qu’il empiète le moins possible sur les hommes aux constitutions parfaites. Il n’est plus autre chose que leur parasite.[1]» Est-ce encore ici « l’immoraliste » qui parle ? Ses paroles ressemblent singulièrement à celles des « moralistes » qui conseillent à l’individu de se dévouer au tout, à la vie totale. Nietzsche ne considère plus l’individu autrement que tous les anti-individualistes ou, si l’on veut, les universalistes, depuis Platon, saint Paul, Kant et Fichte jusqu’à Hegel et à Schopenhauer. Malheureusement, le phénoménisme absolu de Nietzsche n’admet pas une telle conséquence. Comment demander à un phénomène qui passe de se subordonner à la vie totale ? Cette vie n’existe pour lui qu’autant qu’il la pense et la réalise en lui-même. Max Stirner, plus logique, dirait de la vie totale ce qu’il a dit de l’humanité et de la divinité : c’est un simple mot, un extrait de mon propre moi, « volé à mon moi », et vous voulez que je me préoccupe de cette abstraction, la vie ! Vous aussi, prétendu athée, vous adorez un

  1. Crépuscule des idoles, tr. fr., p. 199.