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la venue du surhomme

son voyage (car il aime les marches solitaires), ses disciples, en lui disant adieu, lui font cadeau d’un bâton dont la poignée d’or était un serpent s’enroulant autour du soleil. Zarathoustra se réjouit du bâton et s’appuie dessus ; puis, y voyant aussitôt un symbole, il parle à ses disciples. L’or, éclatant, rare, inutile en lui-même, est pour lui l’image de « la vertu qui donne », de la vertu désintéressée qui fait perpétuellement le sacrifice de soi : « Une vertu qui donne est la plus haute vertu. »

    En vérité je vous devine, mes disciples. Vous aspirez comme moi à la vertu qui donne. Qu’auriez-vous de commun avec les chats et les loups ?
    C’est votre soif à vous de vouloir devenir vous-mêmes des offrandes et des présents : c’est pourquoi vous avez soif d’amasser toutes les richesses dans vos âmes.
    Votre âme aspire insatiablement à des trésors et à des joyaux, puisque votre vertu est insatiable dans sa volonté de donner.
    Vous forcez toutes choses de s’approcher et d’entrer en vous, pour qu’elles recoulent de votre source, comme les dons de votre amour.


Est-ce à un Borgia ou à un Jésus que convient cet hymne de la vertu désintéressée, de celle qui fait de l’homme tout entier une offrande et un présent aux autres hommes ? Nous voilà bien loin de l’idéal de la Renaissance. Nietzsche, cependant, veut nous donner le change. Il s’efforce de retrouver encore là son « égoïsme ».

En vérité, il faut qu’un tel amour qui donne devienne brigand de toutes les valeurs ; mais j’appelle sain et sacré cet égoïsme.


Être brigand de science, de courage, de prudence, de justice, d’amour, pour pouvoir donner à autrui, c’est en effet un égoïsme sacré, mais est-ce bien de l’égoïsme ? Quand Borgia exerçait ses brigandages, était-ce pour donner ensuite à autrui les « valeurs » dont il s’était rendu maître ?

Nietzsche ne veut voir le mauvais égoïsme que chez les faibles, non chez les forts, quels qu’ils soient et