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le retour éternel


Zarathoustra parle aussi poétiquement qu’un Parménide ou un Héraclite, mais plus obscurément encore sous l’apparente clarté des images. Comment un peu de raison se trouve-t-il mêlé à l’universelle et foncière irrationalité des choses soumises aux combinaisons fortuites, c’est-à-dire nécessaires ? Comment la brutalité de ces combinaisons aveugles est-elle meilleure et plus « azurée » que la toile d’araignée de la raison, que l’araignée éternelle qui aurait tissé le monde en prenant pour but le bien et le bonheur de chaque être, poursuivis et atteints d’ailleurs par cet être lui-même ? Quelque difficulté qu’offrent la thèse du théisme ou celle du panthéisme, il n’y a pas lieu de se « réjouir » si l’on ne peut établir que le monde ait un sens et surtout un sens moral, que le progrès indéfini soit possible dans l’humanité et dans l’univers, sans fatalité de retour en arrière et sans « cercle éternel ». Le prétendu hasard de Zarathoustra est une nécessité qui condamne tout à se répéter soi-même perpétuellement ; rien ne danse en liberté ; tout, dans ses moindres mouvements, accomplit le rite prédestiné et imposé par l’éternel retour. Zarathoustra a beau nous dire de danser « par-dessus nos têtes », nous sommes enfermés nous-mêmes, nous sommes à jamais prisonniers.

Que le concept mathématique d’éléments finis, combinés dans le temps infini et l’espace infini, ait pu paraître si « nouveau » à Nietzsche et exciter à ce point son enthousiasme ; que sa doctrine du Surhomme ait abouti à nous représenter le Surhomme lui-même comme un mirage éphémère, qui s’est produit déjà un nombre infini de fois et a disparu un nombre infini de fois, qui se reproduira de même infiniment pour disparaître non moins infiniment ; et que cette conception de l’éternelle identité, qui est celle de l’éternelle vanité (umsonst !), ait pu sembler à Nietzsche la plus haute idée de la vie, c’est ce qu’il est difficile d’expliquer sans admettre déjà je ne sais quoi de trouble dans ce cerveau en perpétuel enfantement.

La preuve formelle que Nietzsche avait emprunté son