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le retour éternel

tions les plus invraisemblables, au mois de février 1883 (le chapitre final fut achevé précisément à l’heure sainte où Richard Wagner mourait à Venise), je constate que ma grossesse fut de dix-huit mois. Ce chiffre de dix-huit mois juste donnerait lieu de penser — entre bouddhistes tout au moins — que je suis au fond un éléphant femelle. Entre temps était née la Gaie Science, où se montrent cent indices annonçant l’approche de quelque chose d’incomparable ».

Nietzsche a merveilleusement décrit l’inspiration poétique d’où est jaillie Zarathoustra, la bible du cercle éternel. « Quelqu’un a-t-il, en cette fin du XIXe siècle, la notion claire de ce que les poètes aux grandes époques de l’humanité appelaient l’inspiration ? Si nul ne le sait, je vais dire, ce qu’est l’inspiré. Pour peu qu’on ait gardé en soi la moindre parcelle de superstition, on ne saurait en vérité se défendre de l’idée qu’on n’est que l’incarnation, le porte-voix, le médium de puissances supérieures. Le mot de révélation — entendu dans ce sens que tout à coup quelque chose se révèle à notre vue ou à notre ouïe avec une indicible précision, une ineffable délicatesse, quelque chose qui nous ébranle, nous bouleverse jusqu’au plus intime de notre être, — est l’expression de l’exacte réalité. On entend, — on ne cherche pas : on prend, — sans se demander de qui vient le don ; la pensée jaillit soudain comme un éclair, avec nécessité, sans hésitations ni retouches : — je n’ai jamais eu à faire un choix. C’est un enchantement où notre âme, démesurément tendue, se soulage parfois par un torrent de larmes, où nos pas, sans que nous le voulions, tantôt se précipitent, tantôt se ralentissent ; c’est une extase qui nous ravit entièrement à nous-mêmes, en nous laissant la perception distincte de mille frissons délicats qui nous font vibrer tout entiers, jusqu’au bout des orteils ; c’est une plénitude de bonheur où l’extrême souffrance et l’horreur ne sont plus sentis comme un contraste, mais comme parties intégrantes et indispensables, comme