Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/244

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
220
nietzsche et l’immoralisme


« L’objection la plus grave peut-être à l’espérance, — objection qui n’a pas été assez mise en lumière jusqu’ici et que M. Renan lui-même n’a pas soulevée dans les rêves trop optimistes de ses Dialogues, — c’est l’éternité à parle post, c’est le demi-avortement de l’effort universel qui n’a pu aboutir qu’à ce monde » Comment ressaisir un motif d’espérance dans cet abîme du temps qui semble celui du désespoir ? — Guyau se répond à lui-même que, des deux infinis de durée que nous avions derrière nous et devant nous, « un seul s’est écoulé stérile, du moins en partie ». Même en supposant l’avortement complet de l’œuvre humaine et de l’œuvre que poursuivent sans doute avec nous une infinité de « frères extraterrestres », il restera toujours mathématiquement à l’univers « au moins une chance sur deux de réussir ; c’est assez pour que le pessimisme ne puisse jamais triompher dans l’esprit humain ». Comme Nietzsche, Guyau aime à rappeler la métaphore de Platon sur les coups de dés qui se jouent dans l’univers ; ces coups de dés, ajoute-t-il, n’ont encore produit « que des mondes mortels et des civilisations toujours fléchissantes », mais le calcul des probabilités « démontre qu’on ne peut, même après une infinité de coups, prévoir le résultat du coup qui se joue en ce moment ou se jouera demain ». Il est curieux de voir Guyau, avant Nietzsche, s’appuyer sur le calcul des probabilités, mais, tandis que Nietzsche en déduira le retour éternel, Guyau pense que les probabilités entraînent plutôt des possibilités toujours nouvelles.

Selon nous, comme selon Guyau, l’une et l’autre hypothèse sont scientifiquement indémontrables. Quand on cherche à se figurer, dit Guyau, les formes supérieures de la vie et de l’être, on ne peut rien déduire des éléments qui nous sont connus, parce que ces éléments sont en nombre borné et, de plus, imparfaitement connus ; il peut donc exister des êtres infiniment supérieurs à nous. « Notre témoignage, quand il s’agit de l’existence de tels êtres, n’a pas plus de valeur que celui