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nietzsche et l’immoralisme

variées, où il se garderait bien de rien changer. Un Néron y fait si belle figure à sa place, dans le cirque où les chrétiens sont déchirés par les bêtes Après Renan, Nietzsche nous invite à contempler le monde comme « un drame varié et riche », — où pourtant recommencent toujours à l’infini les mêmes épisodes Le sentiment de la beauté lui parait une justification suffisante de l’existence. L’homme supérieur doit vivre comme un apollinien, pour rêver et s’enchanter soi-même de son rêve.

Par malheur, le rêve de la vie touche trop souvent au cauchemar pour que la justification apollinienne soit autre chose qu’une illusion où quiconque pense et souffre refusera de se complaire. Cette première initiation aux mystères n’est qu’un leurre.

Nietzsche lui-même nous en propose une seconde, qu’il appelle encore d’un nom nouveau, quoiqu’elle ne soit pas nouvelle : l’ivresse dionysienne. « La psychologie de l’état orgiastique, interprété comme un sentiment de vie et de force débordante où la douleur elle-même est ressentie comme un stimulant, m’a montré la voie qui conduisait à la notion du sentiment tragique, si méconnu par Aristote comme par nos pessimistes… L’affirmation de la vie jusque dans ses problèmes les plus ardus et les plus redoutables, la volonté de vivre s’exaltant dans la conscience de son inépuisable fécondité devant la destruction des plus beaux types d’humanité, — c’est là ce que j’appelai l’esprit dionysien ; et c’est là que je trouvai la clef qui nous ouvre l’âme du poète tragique. L’âme tragique ne veut pas se libérer de la terreur et de la pitié, elle ne veut pas se purifier d’une passion dangereuse au moyen d’une explosion violente de cette passion, — c’est ainsi que l’entendait Aristote ; — non ; elle veut, par delà la pitié et la terreur, être elle-même la joie éternelle du devenir, cette joie qui comprend aussi la joie d’anéantir.[1]»

  1. W. VIII, traduit par M. Darmesteter.